EDITO

Quelques mots par Laurence Langer-Sautière

Une recherche-action menée depuis 2020, initialement sur le « Faire place aux précaires », démarche devenue ECOVIP (Evolution après COVid de l’Invisibilité des Précarités) pour traiter de la désaffiliation sociale des 50-64 ans, ou jeunes seniors, largement amplifiée depuis la crise sanitaire.

A l’origine : des remontées des acteurs du champ psychosocial vers des services sociaux ont signalé l’émergence d’une nouvelle catégorie de personnes – ces « jeunes vieux » dans leur dernière partie de carrière professionnelle –. Elles ont souligné leurs situations de rupture, le plus souvent liées au travail avec diverses ruptures aggravantes, subséquentes ou interférentes, de liens familiaux ou sociaux. Elles ont aussi pointé leurs conditions d’accueil encore lacunaires par les services sociaux, sachant que c’est dans un accueil inconditionnel et une écoute attentive de ces personnes en déshérence qu’apparaissent dans toutes leurs dimensions tragiques ces situations de désaffiliation généralisée pouvant aller jusqu’à l’invisibilisation presque complète et donc l’absence de prise en charge par des travailleurs sociaux.

Une approche pragmatique. Une catégorisation a été effectuée sur les personnes âgées de 50 à 64 ans pour rendre compte de la dernière période de carrière qui nous concerne ici. Cela correspond pour partie à la catégorie des seniors de Pôle Emploi.

Les formes de précarisation ont un caractère nouveau pour cette génération vieillissante, dont la valeur travail est, comme pour les autres générations, particulièrement structurante socialement. En outre, il s’agit de personnes qui expriment beaucoup de honte quant à leurs difficultés perçues comme insurmontables et leur précarisation. Pour la demande d’aide, pour ces personnes, cela demeure délicat, par volonté de s’en sortir seul, par manque de connaissances. Il y a aussi de leur part une anticipation de difficulté des processus d’aide et des dispositifs qui ne repèrent pas ces personnes qui ont besoin d’aide. Il apparaît en effet, sur un plan non plus personnel mais social et sociétal, que l’organisation du travail a été fortement bousculée durant et après la pandémie du coronavirus, donnant lieu de manière pérenne à des réorganisations et des évolutions rendant les fins de carrière incertaines et préoccupantes. L’isolement dans le travail est l’une des conséquences de la crise sanitaire, les liens entre les personnes s’étant distendus, les collectifs de travail ont été malmenés et ont parfois disparu.

Aujourd’hui, « Les dispositifs dits d’aller-vers se multiplient, les publics cibles se multiplient, mais les usages de ces dispositifs demeurent complexes et difficiles à organiser avec les cibles officielles des dispositifs. Or ce qui importe c’est l’usage que l’on permet aux personnes de faire des dispositifs. Souvent, les orientations successives, sans pouvoir se poser pour exprimer, élaborer dignement une demande, ont pour conséquence une extinction de la demande. La demande disparaît. »

Constituant un collectif pluridisciplinaire pour comprendre et identifier des innovations possibles par l’adaptation des pratiques, ECOVIP rassemble tout autant des travailleurs sociaux, infirmiers, psychologues et psychanalystes, des chefs de projet dans les domaines de l’emploi et du travail, une spécialiste de l’observation et un universitaire. Ce collectif offre un espace de réflexion, de parole, d’échanges des pratiques qui se réunit régulièrement et permet aux participants d’investir cet espace pour faire évoluer leurs pratiques. Il ne vise pas à avoir une composition exhaustive, fonction remplie par des dispositifs efficients comme les CLSM, mais à constituer un creuset pour l’innovation et le repérage d’actions, pratiques, modes de fonctionnement favorables à une meilleure prise en charge des jeunes seniors.


« Sur la question de l’isolement, qui est un point de départ de ce qu’on a vu de l’invisibilisation des jeunes seniors, tout d’un coup, par une rupture au travail, ils rentrent dans une spirale d’isolement et d’invisibilisation, ce qui fait que tous les liens sociaux autour d’eux, y compris familiaux, vont tendre à se casser ou à se distendre. Il y a quelque chose de très large dans le concept d’isolement dont on parle là, ça touche tout le monde en fait. Ça nous touche nous aussi, on est dans le même mouvement où il faut batailler pour retrouver des espaces d’échange et de construction collective. »


Les perspectives 2023 : une analyse chiffrée qui commence à être possible avec les derniers recensements, avec une dimension territoriale, car l’invisibilisation ne se produit pas partout de la même façon, et la perspective d’un colloque (11 octobre) dans le cadre des Entretiens Jacques Cartier 2023 en partenariat avec le Québec.