Synthèse
Piloté par Laurence LANGER-SAUTIERE, Nicole BORIE et Vincent RIALLE, le projet ECOVIP « Evolution après COVID de l’Invisibilité des Précarités » prend forme après le constat du Centre Psychanalytique de Consultations et de Traitement (CPCT), de l’émergence d’une nouvelle « patientèle » des personnes de 50 ans dont la carrière professionnelle se délite voir s’effondre.
En 2020, une première recherche-action sur la « place des précaires dans leur parcours d’accès aux droits et aux soins, notamment en santé mentale », révèle un besoin majeur de temps d’écoute pour les personnes en précarité. Cette recherche-action montre chez les acteurs du secteur socio-médical, une souffrance au travail croissante due à un différentiel entre injonctions managériales et fonction d’accueil et d’écoute induit. Il en découle que les praticiens ont besoin d’espaces d’échanges pour partager leurs bonnes pratiques.
La crise sanitaire provoquée par la pandémie de COVID-19 a mis en exergue le durcissement d’accès et conditions au travail pour des publics de 50 ans. La réduction drastique et brutale des liens sociaux liés au travail et au territoire de résidence tend à « invisibiliser » ces populations.
En décembre 2021, un atelier a permis d’échanger sur ces constats et d’appréhender ce processus afin de mieux le caractériser et l’objectiver de façon qualitative. Ces échanges continueront sur l’année 2022 avec l’organisation d’autres ateliers permettant d’accroître l’efficacité de l’impact des investigations, des résultats d’analyses et des préconisations.
Qui sommes-nous ?
La recherche-action ECOVIP a été conçue à l’initiative de la Ville de Lyon par le groupe fondateur constitué de :
Laurence Langer-Sautière
Economiste, responsable de la Mission Observation Évaluation, à la Direction du Développement Territorial (DDT), Plateforme ressources cartes et données de la Ville de Lyon, Ville de Lyon
Nicole Borie
Psychanalyste, responsable du Centre Psychanalytique de Consultations et de Traitement (CPCT), Lyon
Vincent Rialle
Maître de conférence-praticien hospitalier émérite à l’Université Grenoble Alpes (UGA), Équipe d’Accueil EA n°7407 AGEIS
Résumé
En raison de la faiblesse des économies ou de politiques publiques mal adaptées et aggravées par la pandémie, les services officiels dédiés à l’accueil inconditionnel et au soutien des personnes en détresse psychosociale dans les grandes agglomérations sont souvent mis à rude épreuve. Voici l’approche de l’étude « Évolution après Covid-19 de l’invisibilité de la précarité » (ECOVIP) consacrée à ce phénomène, ainsi que ses premiers résultats concernant la précarité des « jeunes » seniors (50-64 ans) au chômage à Lyon, France.
Cette recherche-action s’appuie sur des ateliers qui réunissent des professionnels issus à la fois du champ psychosocial de première ligne et d’autres champs tels que l’emploi ou le travail, et dans lesquels leur est proposée une libre expression sur leurs situations vécues d’accueil de personnes précaires. Les premiers résultats fournis par l’analyse scientifique et transparente de ces échanges montrent à la fois une compréhension assez précise de la décision institutionnelle entraînant une invisibilité croissante, et l’émergence de ressources professionnelles innovantes capables de l’enrayer.
Abstract
Due to low economies or to poorly adapted public policies worsened by the pandemic, official services dedicated to unconditional reception and support of people in psychosocial distress in large urban areas are often under great stress. Here is the approach of the study « Evolution after Covid-19 of the invisibility of precariousness » (ECOVIP) devoted to this phenomenon, as well as its first results concerning the precariousness of unemployed “young” seniors (50-64 y.o.) in Lyon, France.
This action-research study uses workshops that bring together professionals from both the front-line psychosocial field and other fields such as employment or work, and in which they are offered free expression on their lived situations of reception of precarious people. The first results provided by the scientific and transparent analysis of these exchanges show both a quite precise understanding of institutional decision resulting to increasing invisibility, and emergence of innovative professional resources capable of curbing it.
Méthodes
La population est constituée de personnes âgées de 50 à 64 ans (désignées ici séniors) en situation de précarité et de rupture sociale dues essentiellement à la perte de leur emploi, se cumulant souvent avec d’autres ruptures (familiale, immigratoire…) et s’accompagnant d’une détresse psychique. Ces personnes sont adressées par diverses voies à plusieurs structures du champ psycho-social de la Ville de Lyon contactées par le projet ECOVIP.
De type recherche-action, la méthodologie de l’étude fait appel à plusieurs sources scientifiques fortement complémentaire, telles en particulier l’approche du délitement et de la désaffiliation sociales de Pierre Rosanvallon, la clinique psychosociale et l’analyse conversationnelle. Elle rassemble, au cours d’ateliers de réflexion et d’analyse de situations spécifiques, des professionnelles et professionnels acteurs de terrain et désireux à la fois de partage d’expérience et de solutions concernant des situations sur lesquelles achoppe l’action psychosociale dans laquelle ils sont professionnellement engagés. Introduit par un thème général et quelques vignettes de clinique psychosociale, chaque atelier (de 2h30) offre aux participants un espace de libre expression. Il est ensuite entièrement retranscrit pour un travail d’analyse textuelle des contenus et de réflexion avec les participants intéressés par la démarche.
Contexte et finalité
Les vastes ensembles urbains, qui se développent partout dans le monde connaissent une augmentation croissante de la grande précarité et notamment chez les personnes âgées, que la crise du coronavirus n’a fait qu’aggraver, cependant que les dispositifs médico-sociaux institutionnels et associatifs d’accueil des personnes précaires et d’assistance font face à une forte montée de tensions tant externes et dues aux transformations du monde, qu’internes et d’ordre institutionnel, organisationnel et politique. C’est au cours d’une récente étude faisant intervenir ces structures d’accueil, que s’est révélée une augmentation préoccupante du nombre de séniors, femmes ou hommes, frappés par des situations de rupture et que la crise sanitaire a causées ou aggravées. Ce constat nous a conduit à la conception et la mise en place d’un projet de recherche-action intitulé « Evolution après le COVid de l’Invisibilité des Précarités » (ECOVIP) et fondé sur un partenariat entre la Ville de Lyon, le CPCT de Lyon et le laboratoire AGEIS (Université Grenoble Alpes).
Cette recherche-action poursuit le double but suivant :
Celui de contribuer à la compréhension des phénomènes de l’entrée en précarité de nombreux citoyens, entrée caractérisée d’une part, par une perte progressive ou brutale de visibilité de ces personnes par les observatoires et les structures du champ psychosocial dévolus à leur problématique de détresse, et d’autre part, par une corrélation avec la crise sanitaire (forte aggravation du phénomène).
Celui de favoriser l’émergence de nouvelles pratiques in situ, ainsi que la prise de conscience politique des déterminismes constitutifs de ce que nous nommons ici la « fabrique urbaine » de cette entrée en précarité et invisibilité par les institutions ad-hoc. Par là même, il s’agit de restituer à ces publics éloignés signés par la spirale précarité-invisibilité une prise en considération effective de leur situation par les politiques publiques.